Lors de la puberté, plusieurs changements se produisent dans notre corps. L’adolescence est une période développementale susceptible à l’apparition de préoccupations liées au poids. Les commentaires sur le poids et l’apparence peuvent nuire au développement d’une image corporelle saine chez les jeunes et même influencer les comportements alimentaires qui s’en suivent… Ce billet vise d’une part, à présenter le stigma lié au poids perpétré par des membres de la famille, et d’autre part, à exposer les conséquences néfastes de ce phénomène très répandu.
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Qu’est-ce que le stigmatisation liée au poids?
La stigmatisation liée au poids fait référence à toutes les attitudes, les croyances et les comportements défavorables portés envers des individus en raison de leur poids corporel (1). Elle découle de préjugés et de stéréotypes négatifs souvent exprimés envers les personnes qui présentent de l’obésité, tel que la paresse, la faiblesse, le manque de discipline, de volonté et d’hygiène. Il s’agit d’une problématique sociétale qui peut toucher les individus de tout format corporel et qui peut prendre différentes formes (2). Par exemple, les taquineries et commentaires sur le poids, les encouragements en lien avec la perte de poids ou encore la discrimination basée sur le poids sont des façons de stigmatiser une personne sur son poids. Simplement parler de poids peut même constituer une forme de stigmatisation (3).
Quelles sont les conséquences de la stigmatisation liée au poids? À l’heure actuelle, les recherches sur la stigmatisation liée au poids ont dépeint des conséquences claires sur l’individu qui en souffre (4–8):
Augmentation du stress, de la détresse psychologique, de la dépression, de comportements alimentaires malsains et du poids ;
Diminution de la qualité du sommeil, du temps d’endormissement et de l’estime corporelle de soi ;
Pauvres stratégies d’adaptation à des situations difficiles ;
Non-adhérence aux recommandations médicales ;
Difficultés scolaires, sociales et familiales ;
Insatisfaction conjugale et sexuelle entre partenaires ;
Etc.
Ces effets néfastes touchent à de nombreuses sphères de vie de l’individu : c’est pourquoi il est important de se renseigner sur ce sujet, qui peut sembler anodin aux premiers abords.
Parler de poids peut même constituer une forme de stigmatisation.
L'influence de la famille
Malencontreusement, les proches, dont les membres de la famille, constituent l’une des principales sources de stigmatisation liées au poids. De façon générale, on estime qu’entre 12 % et 58 % des adolescentes et adolescents ont été victimes de stigmatisation liée à leur poids par un membre de leur famille (9, 10). Voici ce que l’on sait sur le phénomène jusqu’à maintenant :
1) Les parents
Beaucoup de parents présentent des préjugés liés au poids. Ces préjugés sont à la fois implicites (p. ex., contact visuel ou expression faciale) et explicites (p. ex., taquineries répétées ou harcèlement verbal) (11). Les parents qui présentent eux-mêmes un surplus de poids ou de l’obésité ont toutefois moins de préjugés liés au poids que ceux considérés avec un poids santé (12). Les parents ayant eux-mêmes été victimes de stigmatisation liée à leur poids sont plus enclins à parler de poids avec leurs enfants en les encourageant à en perdre (manger plus sainement ou être plus actif physiquement) afin d’éviter de se faire taquiner par les autres (13). Les parents ayant internalisé ce type de stigmatisation seront portés à parler plus fréquemment de poids avec leurs enfants. Conséquemment, ils vont perpétrer cette même stigmatisation auprès d’eux, que ce soit sous forme de commentaires stigmatisants sur leur propre poids, le poids de leur enfant ou le poids d’autres personnes de l’entourage. L’incitation à perdre du poids venant de la part d’un parent est associée à plus de comportements alimentaires restrictifs (p. ex., les diètes) et à plus de symptômes dépressifs chez les jeunes (3). La relation conjugale au sein de la famille elle-même peut être affectée par la stigmatisation liée au poids perpétrée entre les parents (14). Une récente revue de la littérature a révélé un moins grand bien-être individuel, sexuel et conjugal et une satisfaction corporelle moins élevée chez les conjoint(e)s stigmatisés (14).
2) La mère
Lorsqu’une mère craint de prendre du poids et/ou qu’elle suit un régime pour en perdre, cela rend sa fille plus susceptible de présenter des comportements alimentaires restrictifs à l’âge adulte et ce, même si elles n’en discutent pas ensemble directement (15). Lorsque cette peur de prendre du poids est présente à la fois chez la mère et chez la fille, l’adolescente s’engage davantage dans des comportements alimentaires restrictifs.
La surveillance des changements dans son corps prédit également l’insatisfaction corporelle. En effet, lorsqu’une mère ou une fille exercent une surveillance corporelle élevée, elles présentent une honte plus élevée envers leur corps. Les filles qui exercent une surveillance corporelle élevée et qui ont des échanges négatifs sur leur corps avec leur mère ressentent une plus grande honte corporelle. Le discours corporel négatif avec une mère est donc un facteur important associé à la honte ressentie envers son corps (16).
3) Le père
D’un autre côté, lorsque le père perpètre de la stigmatisation liée au poids (p. ex., taquineries sur l’apparence, commentaires sur le poids), il est possible que sa fille présente des attitudes et comportements alimentaires malsains ainsi que des symptômes anxieux et dépressifs plus élevés (9). Les pères sont également susceptibles de présenter plus de préjugés explicites (p. ex., penser qu’une personne en surplus de poids est à blâmer) liés au poids que les mères (12).
4) Les frères et sœurs
Les jeunes filles qui sont taquinées par leur père sur leur poids corporel rapportent être également taquinées par leurs frères et sœurs. Ce type de remarques de la fratrie est aussi associé avec des comportements alimentaires malsains pour les adolescents (9).
5) Les enfants
Chez les jeunes filles, la perception de recevoir des commentaires positifs de la part des parents à l’égard de leur poids/forme/habitudes alimentaires est associée à une meilleure santé psychologique et à moins de troubles alimentaires (17). À l’inverse, tous les commentaires sur le poids perçus négativement par les enfants (garçons et filles) sont associés avec une détresse psychologique élevée et un risque accru de développement de troubles alimentaires.
On estime qu’entre 12 % et 58 % des adolescentes et adolescents ont été victimes de stigmatisation liée à leur poids par un membre de leur famille.
Ce qu'il faut retenir:
Le parent est constamment un modèle pour son enfant ;
Les discussions familiales sur le poids sont l’élément clé susceptible de prédire les comportements alimentaires futurs des enfants ;
La perception des enfants à l’égard des commentaires sur leur poids importe davantage que les commentaires en soi.
Les caractéristiques individuelles (physiques, émotionnelles, cognitives) d’un membre de la famille peuvent donc contribuer indirectement à un environnement stigmatisant. Même si un parent n’exprime pas directement à son enfant de perdre du poids, l’enfant qui observe son parent peut développer une peur de prendre du poids et mettre en place des actions pour en perdre. Qui plus est, un parent pourrait considérer un commentaire comme positif (p. ex., mentionner à son enfant qu’il a perdu du poids et qu’il paraît bien ainsi), mais ce que l’enfant retiendrait serait une critique liée à son apparence (p. ex., tu avais un surplus de poids, maintenant tu ne l’as plus). Malgré les intentions qui se veulent souvent bonnes en abordant le poids au sein des membres de la famille, l’interprétation de l’échange (positif ou négatif) auprès de l’enfant va grandement influencer les comportements alimentaires qui s’en suivent.
À la lumière de tous ces résultats de recherche, il serait bon d’inviter tous les parents à s’interroger sur la pertinence de conversations portant sur le poids au sein de la famille et ce, particulièrement à l’étape délicate de la puberté!
Rédigé par :
Marie-Pierre Légaré-Baribeau, étudiante au doctorat de psychologie Recherche et Intervention (Ph.D. R/I), Amée Lapointe, étudiante au doctorat de psychologie (D. Psy.), Maxime Legendre, Ph.D., Catherine Bégin, Ph.D., École de Psychologie, Université Laval, Québec, Canada.
Références :
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3. Gillison, F. B., Lorenc, A. B., Sleddens, E. F. C., Williams, S. L. & Atkinson, L. (2016). Can it be harmful for parents to talk to their child about their weight? A meta-analysis. Preventive medicine, 93, 135-146. https://doi.org/10.1016/j.ypmed.2016.10.010
4. Wang, Z., Dang, J., Zhang, X., Moore, J. B., & Li, R. (2021). Assessing the relationship between weight stigma, stress, depression, and sleep in Chinese adolescents. Quality of life research : an international journal of quality of life aspects of treatment, care and rehabilitation, 30(1), 229-238. https://doi.org/10.1007/s11136-020-02620-4
5. Puhl, R. M. & Lessard, L. M. (2020). Weight Stigma in Youth : Prevalence, Consequences and Considerations for Clinical Practice. Current obesity reports, 9(4), 402-411. https://doi.org/10.1007/s13679-020-00408-8
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