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Les mesures de la pauvreté, les stratégies pour l'éliminer et le droit à l'alimentation

La pauvreté se manifeste entre autres par la difficulté d’accéder à des biens de consommation, comme la nourriture. Dans cet esprit, ce billet de blogue explore différentes mesures de la pauvreté, des stratégies pour l’éradiquer, ainsi que des solutions mises de l’avant pour permettre l’accès de tous à des aliments nutritifs, en quantité suffisante, disponibles de façon continue dans le temps, qui respectent les préférences culturelles et l’environnement.

Depuis mars 2020, la pandémie de COVID-19 a révélé la précarité dans laquelle vit une proportion non négligeable de la population. Du jour au lendemain, après la fermeture de larges pans de l’économie, des ménages autrement à l'aise se sont retrouvés dans une situation financière fragile. Au pire de la pandémie, certaines estimations avancent que le quart des ménages aurait fait l’expérience d’une forme ou d’une autre d’insécurité alimentaire, c’est-à-dire que leur apport en nourriture était insuffisant en quantité ou en qualité, et ce à court, moyen ou long terme. La pauvreté, si elle est souvent présentée en termes de revenus, se révèle ici indissociable de l’accès à des biens et services, comme la nourriture. Mesurer la pauvreté, c’est donc mesurer le seuil minimum de ressources auxquelles une société considère que ses membres devraient avoir accès. Dans les lignes qui suivent, je vous propose une réflexion sur la pauvreté et les différentes manières de la quantifier et de la qualifier, mais aussi sur quelques stratégies mises de l’avant pour l’éradiquer et ce qu’elles nous apprennent quant à l’accès à une alimentation saine et durable.



Les principales mesures de la pauvreté


La Mesure du panier de consommation (MPC) est l’outil utilisé pour fixer le seuil officiel de pauvreté au Canada. Ici, la pauvreté est définie comme « la condition dans laquelle se trouve une personne qui est privée des ressources, des moyens, des choix et du pouvoir nécessaires pour atteindre et maintenir un niveau de vie de base et pour favoriser son intégration et sa participation à la société »[1]. Pour établir la MPC, Statistique Canada calcule, pour une famille de référence de deux adultes et deux enfants, le coût d’un panier de biens et services qui permet de couvrir les besoins de base. Ce panier inclut l’alimentation, les vêtements, le logement, le transport, les autres nécessités (meubles, produits de soins personnels, télécommunications, vacances, fonds de prévoyance, etc.), ainsi que des dépenses comme les soins de santé et les frais de garde. La Mesure de faible revenu (MFR), calculée par Statistique Canada et par l’Institut de la statistique du Québec, représente plutôt 50 % (MFR-50) ou 60 % (MFR-60) du revenu médian, selon le contexte dans lequel elle est utilisée. Le revenu médian est la mesure qui divise en deux la population, c’est-à-dire que la moitié de la population gagne moins que le revenu médian, et l’autre moitié davantage. Il s’agit d’une mesure relative qui ne tient pas compte des besoins d’un ménage dans un contexte donné. Si elle est calculée là où le revenu médian est faible par rapport au coût de la vie, la MFR pourra être très en deçà de la MPC, par exemple.


Ces mesures sont importantes parce qu’elles sont un élément clé sur lequel peuvent s’appuyer les décideurs, comme les gouvernements fédéraux, provinciaux et municipaux, dans la création et la mise en œuvre de politiques publiques, incluant les politiques de lutte à la pauvreté et de soutien aux plus démunis. Elles peuvent aussi être utilisées par des groupes de pression pour faire valoir leur cause, par exemple en lien avec l’augmentation du salaire minimum. Ce qui est inclus — ou non — dans ces mesures, particulièrement le panier de consommation, est révélateur de ce qui est considéré comme essentiel dans nos sociétés, ainsi que du niveau d’inégalité que nous sommes prêts à tolérer.


La MPC et la MFR ont régulièrement été critiquées parce qu’elles permettent tout juste de garder la tête hors de l’eau. En réponse à ces critiques, depuis 2015, l’Institut de recherche et d’informations socioéconomiques (IRIS)[2] publie annuellement un calcul du revenu viable qui calque les grandes catégories de la MPC, mais définit le panier de consommation en fonction non pas des besoins de base à couvrir, mais des conditions à remplir pour se sortir de la pauvreté. Le revenu viable est toujours plus élevé que la MPC. Selon la région et le type de famille, la différence entre le revenu viable et la MPC oscille entre environ 5,5 % pour une personne seule et environ 16,5 % pour un ménage monoparental avec un enfant en bas âge. Au Québec, en 2021, les calculs des programmes d’aide de dernier recours ont été faits à partir de la MPC de base 2018, ce qui place systématiquement les ménages qui en bénéficient en situation de grande précarité.


Par exemple, selon les calculs de l’IRIS, pour une personne seule à Montréal, le programme de solidarité sociale, qui s’adresse aux personnes avec une contrainte sévère à l’emploi, couvre 65 % de la MPC ajustée pour 2021 et 51 % du revenu viable. Le programme de solidarité sociale de longue durée couvre 75 % de la MPC ajustée pour 2021 et 59 % du revenu viable. À Montréal encore, le salaire minimum au 1er mai 2020 permet de couvrir 98 % de la MPC ajustée pour 2021 et 73 % du revenu viable. C’est donc dire qu’une personne travaillant à temps plein au salaire minimum peut combler ses besoins de base, mais n’a pas les ressources nécessaires pour sortir de la pauvreté, tout comme celles qui, en raison de problèmes de santé ou de leur âge, ne peuvent pas travailler et n’ont pas accès à d’autres ressources. Il faut d’ailleurs mentionner que, contrairement aux travailleurs et aux entreprises, les personnes assistées sociales n’ont bénéficié d’aucune aide financière supplémentaire pendant la crise de la COVID-19, alors qu’elles étaient confrontées à une montée généralisée des prix des denrées essentielles[3].


Ici, la pauvreté est définie comme « la condition dans laquelle se trouve une personne qui est privée des ressources, des moyens, des choix et du pouvoir nécessaires pour atteindre et maintenir un niveau de vie de base et pour favoriser son intégration et sa participation à la société ».

Quelles stratégies pour éradiquer la pauvreté?


Quelles solutions mettre en place si, collectivement, nous visons à abolir la pauvreté? Certains plaident pour un système social renforcé avec des programmes sociaux qui couvrent un éventail de besoins plus étendu. Le revenu minimum garanti, sous la forme d’un paiement en argent à tous les ménages qui tombent sous un certain niveau de revenus, est régulièrement mis de l’avant comme une stratégie qui permettrait à tous de se maintenir au-dessus du seuil de pauvreté. Cette stratégie empêcherait les ménages de « tomber entre les mailles du filet social », parce qu’une seule mesure viendrait remplacer la multitude de programmes éparpillés entre différents domaines d’intervention et paliers de gouvernement qui existent présentement. Cette approche est par exemple soutenue par la professeure Valerie Tarasuk de l’Université de Toronto, également chercheuse pour le programme de recherche PROOF sur l’insécurité alimentaire. Sur la base de l’analyse des données de l’Enquête sur la santé dans les collectivités canadiennes 2017-2018, Valerie Tarasuk et son équipe démontrent qu’au Canada, le taux d’insécurité alimentaire est moins élevé dans les catégories de population qui bénéficient d’une forme ou d’une autre de soutien au revenu, comme l’allocation canadienne pour enfant ou la pension de la sécurité de la vieillesse[4]. Cette chercheuse et son équipe voient donc dans cette mesure de complément et de stabilisation du revenu une solution durable au problème de l’insécurité alimentaire.


Le revenu minimum garanti est toutefois critiqué parce qu’il ne peut pas remplacer un filet social solide et des services qui permettent d’adresser diverses formes de vulnérabilité, par exemple en lien avec la santé mentale ou la langue. Une des craintes est justement que ces formes de soutien au revenu soient perçues et implantées en lieu et place de ces services publics et servent à dédouaner le gouvernement de ses responsabilités envers les citoyens. Une autre critique vient du fait qu’il s’agit d’une mesure qui adresse au niveau individuel – par un paiement en argent à un individu ou un ménage – un enjeu d’ordre social, à savoir celui de la précarité financière et des inégalités. Il pourrait également ouvrir la porte à une privatisation des services publics, qui deviendraient des biens monnayables et pourraient devenir moins accessibles à ceux qui en ont le plus besoin.


Une proposition alternative au revenu minimum garanti, qui vise le même objectif d’éradication de la pauvreté, mais tâche de dépasser les limites d’une approche individualisante, est celle des services de base universels tels que conceptualisés par les chercheurs anglais Anna Coote et André Percy[5]. Coote et Percy proposent la mise en place d’un éventail de services auxquels chacun aurait droit et qui permettraient de répondre aux besoins partagés et essentiels – incluant la santé, l’éducation, le soin des enfants, les télécommunications, etc. Ces services seraient universels, donc offerts indépendamment de la capacité de payer des individus; ils viseraient à combler les besoins essentiels ou de base et seraient adossés aux préoccupations pour le développement durable tel que défini dans le rapport Brundtland*. Ce modèle recoupe de plusieurs manières des services déjà en place au Québec, mais propose une offre étendue et une redistribution de la responsabilité entre l’État et les collectivités. Ici, les collectivités seraient responsables d’offrir les services et l’État devrait jouer le rôle de coordonnateur et s’assurer que tous voient leurs besoins essentiels satisfaits. S’il est relativement facile d’imaginer à quoi pourraient ressembler de tels services en matière de santé et d’éducation, pour lesquels de nombreux modèles existent ici et ailleurs, la question est un peu plus complexe en ce qui concerne des besoins transversaux comme l’alimentation.


* « Le développement durable est un mode de développement qui répond aux besoins des générations présentes sans compromettre la capacité des générations futures de répondre aux leurs. »



Quel impact pour l’accès à une alimentation saine et durable?


En lien avec l’alimentation, les services de base universels assureraient l’accès de tous à des aliments en quantité suffisante, nutritifs et issus de systèmes alimentaires durables. Un système alimentaire durable vise à « accroître la santé environnementale, économique et sociale de la collectivité »[6]. Pour ce faire, les auteurs proposent l’offre gratuite et universelle de repas à l’école. D’autres initiatives peuvent être la distribution à domicile de repas aux aînés qui ne sont plus en mesure de cuisiner pour eux-mêmes, ou encore l’accès à des aliments frais de production locale dans tous les quartiers, par exemple par des marchés publics ou des jardins communautaires. Coote et Percy soulignent, avec raison, que l’alimentation n’est pas un service qui peut se réfléchir de manière isolée par rapport aux autres, ou qui peut se résumer à un paiement en argent. Il est nécessaire de tenir compte de la manière dont l’alimentation touche tous les services auxquels les citoyens ont accès – éducation, santé, transport, activités sportives, bibliothèques, et j’en passe – mais aussi de l’ensemble du cycle de vie d’un aliment, de la production à la consommation, ainsi que des politiques qui la concernent directement ou non.


Il est nécessaire de tenir compte de la manière dont l’alimentation touche tous les services auxquels les citoyens ont accès – éducation, santé, transport, activités sportives, bibliothèques, [...] – mais aussi de l’ensemble du cycle de vie d’un aliment, de la production à la consommation, ainsi que des politiques qui la concernent directement ou non.

Cette approche dépasse donc la simple question de l’accès financier ou même géographique aux aliments. Elle impose de lier l’alimentation aux différentes facettes de la vie en collectivité ainsi qu’aux enjeux de démocratie ou de justice alimentaire. Elle repose sur l’idée d’un droit à l’alimentation que de nombreuses organisations, au Canada et ailleurs, travaillent à voir reconnu et mis en application[7]. De ce point de vue, elle offre une bonne lunette pour juger de la pertinence et de l’efficacité des stratégies de lutte à la pauvreté, parce que toute stratégie qui ne garantit pas l’accès à une alimentation saine et durable échoue par définition à remplir ses objectifs. Il s'agit d’une idée à garder en tête à une époque où les banques alimentaires peinent à répondre à une demande qui ne faiblit pas d’un côté et, de l’autre, où les communautés, à travers des projets comme les marchés solidaires ou les fermiers de famille, se mobilisent pour créer des systèmes alimentaires qui favorisent la santé, la durabilité sociale et environnementale, la solidarité et l’esprit de communauté.


Rédigé par Laurence Godin

Professeure adjointe

Département d’économie agroalimentaire et des sciences de la consommation

Membre régulière au Centre NUTRISS, INAF, Université Laval


Références: [1] Emploi et développement Canada (2018). Une chance pour tous : la première Stratégie canadienne de réduction de la pauvreté. 108 pages. www.canada.ca/fr/emploi-developpement-social/programmes/ reduction-pauvrete/rapports/strategie. Cité par Hurteau P., Labrie V. et Nguyen, M. (2019). Le revenu viable 2019 et les situations de pauvreté. Données pour différentes localités du Québec. Institut de recherche et d’information socioéconomiques (IRIS). Montréal, 24 pages. https://iris-recherche.qc.ca/publications/le-revenu-viable-2019-et-les-situations-de-pauvrete/ [2] Hurteau P., Labrie V. et Nguyen, M. (2019). Le revenu viable 2021 : pour une sortie de pandémie sans pauvreté. Institut de recherche et d’information socioéconomiques (IRIS), Montréal, 24 pages. https://iris-recherche.qc.ca/publications/le-revenu-viable-2019-et-les-situations-de-pauvrete/ [3] Front commun des personnes assistées sociales du Québec (FCPASQ) (19 mars 2021). Un an d’inaction du ministre responsable de la Solidarité sociale. http://fcpasq.qc.ca/2021/03/19/un-an-dinaction-du-ministre-responsable-de-la-solidarite-sociale/ [4] Tarasuk, V. et Mitchell, A. (2020). Insécurité alimentaire des ménages au Canada, 2017-18. Toronto : Research to identify policy options to reduce food insecurity (PROOF). https://proof.utoronto.ca. Pour une présentation vulgarisée de ces enjeux, vous pouvez vous référer à cette vidéo : How to tackle food insecurity in Canada, https://youtu.be/uJHEvo7PZZA. [5] Coote, A. et Percy, A. (2020). The Case for Universal Basic Services. Polity Press. [6] Collectivités viables (2015). Système alimentaire durable. https://collectivitesviables.org/articles/systeme-alimentaire-durable.aspx [7] Par exemple : https://foodsecurecanada.org/fr/le-droit-lalimentation-au-canada.








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