En mangeant votre petit déjeuner en famille, Tony le Tigre vous sourit. Pendant la pause à l’école, votre enfant ouvre son média social préféré et jette un coup d’œil à son fil d’actualité. Inconsciemment, il aperçoit plusieurs publicités d’aliments et de boissons moins nutritifs. À la fin des classes, avant d’aller à sa pratique de soccer, il enfile son chandail d’équipe sur lequel sont apposés plusieurs logos, dont celui d’une compagnie de restauration rapide. D’ailleurs, sur le chemin du retour à la maison, il vous convainc de faire un arrêt rapide pour déguster un Joyeux festin…
Pourquoi se soucier du marketing d’aliments moins nutritifs attrayant pour les enfants ?
Les enfants sont particulièrement vulnérables aux contenus publicitaires. En effet, avant l’âge de huit ans, ils ne sont souvent pas en mesure de comprendre que le marketing a pour but de les persuader à acheter un produit (1). Le marketing d’aliments moins nutritifs (riches en sucre, en sel ou en gras saturés, comme des croustilles) influence leurs préférences pour ces aliments et boissons, leurs habitudes de consommation et leurs requêtes d’achats auprès de leurs parents (2, 3). Cette influence est particulièrement délétère puisqu’elle survient à une période charnière de la vie. En effet, les habitudes alimentaires forgées à un jeune âge sont souvent maintenues à l’âge adulte, et ces dernières peuvent avoir des répercussions importantes sur la santé à long terme (4).
État actuel des politiques au Canada La province de Québec est très avant-gardiste en ce qui a trait aux politiques pour restreindre le marketing qui vise les enfants. En 1978, la Loi sur la protection du consommateur a été mise en place, interdisant la publicité s’adressant aux enfants de moins de 13 ans, incluant la publicité de produits alimentaires. Bien que cette loi permette de diminuer l’exposition aux publicités d’aliments moins nutritifs dans plusieurs contextes (télévision, radio, etc.), il existe des failles qui permettent à l’industrie de continuer à promouvoir certains produits attrayants pour les enfants et les jeunes sur différents médias, par exemple sur plusieurs médias sociaux et sur l’emballage des produits alimentaires.
Malheureusement, ailleurs au Canada, les compagnies décident si elles veulent adopter des engagements volontaires pour restreindre l’exposition des jeunes au marketing d’aliments moins nutritifs. En raison de leur nature volontaire, ce type d’engagement n’est pas efficace et la majorité des produits destinés aux enfants, même ceux qui sont moins nutritifs, demeurent extrêmement publicisés (5). Et s’il existait des réglementations au niveau fédéral pour encadrer la publicité d’aliments moins nutritifs qui vise les enfants? Le gouvernement fédéral a identifié le marketing d’aliments moins nutritifs destiné aux enfants comme étant un élément prioritaire à légiférer, et a tenté de mettre en place une loi afin d’interdire le marketing d’aliments moins nutritifs visant les enfants il y a quelques années (loi S-228). Or, en raison entre autres des pressions exercées par l’industrie alimentaire (6), cette loi n’a jamais vu le jour. En 2021, un nouveau projet de loi (loi C-252) fortement inspiré du précédent a été proposé à la Chambre des communes du Canada et est actuellement considéré.
[…], il existe des failles qui permettent à l’industrie de continuer à promouvoir certains produits attrayants pour les enfants et les jeunes sur différents médias, par exemple sur plusieurs médias sociaux et sur l’emballage des produits alimentaires.
Nous pouvons nous inspirer de ce qui se passe ailleurs
L’Organisation mondiale de la santé suggère aux pays de mettre en place des restrictions sur le marketing destiné aux enfants afin de favoriser des choix alimentaires plus sains auprès de cette population, et plusieurs pays se sont dotés de telles politiques. Par exemple, au Chili, les publicités de produits moins nutritifs sont interdites durant les émissions de télévision qui ciblent les enfants, ainsi que sur les sites Web ciblant les enfants. De plus, les représentations de personnages et des célébrités apposées sur les produits moins nutritifs sont interdites (par exemple sur les boîtes de céréales), parmi d’autres mesures (7).
Au Royaume-Uni, la publicité d’aliments moins nutritifs est interdite pendant et adjacent aux émissions de télévision dont le public cible est celui de jeunes de moins de 16 ans (8). Puisque les médias sociaux sont désormais très populaires chez les jeunes (9), les réglementations encadrant uniquement la publicité à la télévision ne sont plus suffisantes. Le gouvernement britannique a donc tenté d’instaurer une politique de restriction du marketing d’aliments moins nutritifs en ligne et pendant tous les programmes télévisés entre 5h30 et 21h00, même pour ceux qui ne sont pas dirigés vers les enfants. Toutefois, en raison d’une réaction forte de l’industrie contre cette politique et de diverses forces politiques au sein du pays, son implantation a été repoussée.
Une autre politique novatrice a été proposée par l’Espagne, ayant pour but d’interdire la promotion d’aliments moins nutritifs par les influenceurs sur plusieurs médias.
Il sera essentiel d’observer l’évolution de ces politiques dans le temps et leur impact sur les comportements alimentaires pour éclairer l’élaboration des politiques au Canada et ailleurs.
Alors, où cela nous mène-t-il ?
Le marketing d’aliments moins nutritifs destiné aux jeunes a des impacts négatifs sur leur santé, d’autant plus que ceci survient à un stade critique du développement. La restriction du marketing d’aliments moins nutritifs favorisera des choix alimentaires plus sains chez les jeunes, certes, mais d’autres politiques de santé publique pourraient être mises en place. Le tout nouvel étiquetage nutritionnel sur le devant des emballages alimentaires implanté par Santé Canada et la taxe de vente provinciale sur les boissons sucrées en Colombie-Britannique sont des exemples de politiques prometteuses, qui, réunies, seront plus efficaces. Ultimement, ces politiques contribueront à améliorer nos environnements alimentaires.
Le tout nouvel étiquetage nutritionnel sur le devant des emballages alimentaires implanté par Santé Canada et la taxe de vente provinciale sur les boissons sucrées en Colombie-Britannique sont des exemples de politiques prometteuses, qui, réunies, seront plus efficaces.
La province de Québec a déjà démontré du leadership en élaborant une politique de restriction du marketing qui vise les enfants, et le Canada a l’opportunité d’être un chef de file mondial en élaborant une politique qui fera face aux défis actuels. Certains secteurs seront plus laborieux à légiférer que d’autres, comme la publicité sur les médias sociaux par des influenceurs, ou bien les publicités insérées dans des jeux vidéo. Or, la santé de nos jeunes n’est pas un jeu, et nous pourrions en faire davantage pour protéger cette population vulnérable.
Rédigé par :
Élisabeth Demers-Potvin, Dt.P., étudiante à la maîtrise en nutrition, et Lana Vanderlee, chercheuse, Centre Nutrition, santé et société, École de nutrition, Université Laval.
Références :
1. John DR. Consumer Socialization of Children : A Retrospective Look at Twenty-Five Years of Research. Journal of Consumer Research 1999;26(3):183-213. doi: https://doi.org/10.1086/209559.
2. Sadeghirad B, Duhaney T, Motaghipisheh S, Campbell NR, Johnston BC. Influence of unhealthy food and beverage marketing on children's dietary intake and preference: a systematic review and meta-analysis of randomized trials. Obes Rev 2016;17(10):945-59. doi: 10.1111/obr.12445.
3. Boyland E, McGale L, Maden M, Hounsome J, Boland A, Angus K, Jones A. Association of Food and Nonalcoholic Beverage Marketing With Children and Adolescents' Eating Behaviors and Health: A Systematic Review and Meta-analysis. JAMA Pediatr 2022;176(7):e221037. doi: 10.1001/jamapediatrics.2022.1037.
4. Craigie AM, Lake AA, Kelly SA, Adamson AJ, Mathers JC. Tracking of obesity-related behaviours from childhood to adulthood: A systematic review. Maturitas 2011;70(3):266-84. doi: 10.1016/j.maturitas.2011.08.005.
5. Vergeer L, Vanderlee L, Potvin Kent M, Mulligan C, L'Abbé MR. The effectiveness of voluntary policies and commitments in restricting unhealthy food marketing to Canadian children on food company websites. Appl Physiol Nutr Metab 2019;44(1):74-82. doi: 10.1139/apnm-2018-0528.
6. Gaucher-Holm A, Mulligan C, L'Abbé MR, Potvin Kent M, Vanderlee L. Lobbying and nutrition policy in Canada: a quantitative descriptive study on stakeholder interactions with government officials in the context of Health Canada's Healthy Eating Strategy. Global Health 2022;18(1):54. doi: 10.1186/s12992-022-00842-4.
7. Taillie LS, Busey E, Stoltze FM, Dillman Carpentier FR. Governmental policies to reduce unhealthy food marketing to children. Nutr Rev 2019;77(11):787-816. doi: 10.1093/nutrit/nuz021.
8. Garde A, Davies S, Landon J. The UK Rules on Unhealthy Food Marketing to Children. European Journal of Risk Regulation 2017;8(2):270-82. doi: 10.1017/err.2017.23.
9. Demers-Potvin É, White M, Potvin Kent M, Nieto C, White CM, Zheng X, Hammond D, Vanderlee L. Adolescents' media usage and self-reported exposure to advertising across six countries: implications for less healthy food and beverage marketing. BMJ Open 2022;12(5):e058913. doi: 10.1136/bmjopen-2021-058913.
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