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Quelle réponse à l’insécurité alimentaire dans la ville de Québec à l’ère de la COVID-19 ?


La crise de la COVID-19 a eu des effets importants sur l’insécurité alimentaire des ménages et sur les organismes qui y répondent. Pour mieux comprendre ces impacts, une équipe de chercheuses ont interrogé des acteurs du domaine dans la ville de Québec. Voici les principales conclusions de ce travail.



Hausse marquée du recours à l’aide alimentaire, difficulté des ménages face à l’inflation, banques alimentaires débordées… depuis quelques mois, les menaces qui pèsent sur la sécurité alimentaire des ménages québécois font les grands titres des médias. Si l’insécurité alimentaire a toujours été présente dans nos sociétés, ses formes varient et des événements comme la crise sanitaire participent à les transformer. Depuis mars 2020, les répercussions économiques et sanitaires de la crise de la COVID-19 ont fortement contribué à accentuer l’insécurité alimentaire au niveau mondial, à la rendre plus visible – mais aussi à la transformer.



Une définition de l’insécurité alimentaire D’abord, qu’est-ce que l’insécurité alimentaire ? Il n’existe pas une définition unique de ce phénomène. Toutefois, on considère généralement qu’une personne vit une situation d’insécurité alimentaire lorsque ses apports en nourriture, en quantité ou en qualité, sont insuffisants ou incertains, que ce soit de façon épisodique, régulière ou chronique (INSPQ, 2020). Ainsi, l’insécurité alimentaire ne renvoie pas seulement au manque de nourriture dans l’assiette d’une personne; elle fait aussi référence (et c’est là le sens du terme insécurité) à la précarité associée à l’incertitude d’avoir des aliments permettant de couvrir ses besoins de base. Plusieurs travaux de recherche dans des disciplines variées démontrent qu’il existe des liens significatifs entre la sécurité alimentaire d’un individu et son bien-être général, sa santé physique et sa santé mentale, ce qui fait en sorte que la sécurité alimentaire est un important déterminant de la santé.


[…] l’insécurité alimentaire ne renvoie pas seulement au manque de nourriture dans l’assiette d’une personne; elle fait aussi référence (et c’est là le sens du terme insécurité) à la précarité associée à l’incertitude d’avoir des aliments permettant de couvrir ses besoins de base.


Un portrait de l’insécurité alimentaire pendant la pandémie en quelques chiffres

Selon Statistique Canada, à la fin mai 2020, une Canadienne ou un Canadien sur 7 (14,6%) indiquait vivre dans un ménage qui avait connu de l’insécurité alimentaire au cours des 30 derniers jours. Au Québec, 26% des adultes se sont déclarés en situation d’insécurité alimentaire au début du confinement de mars 2020 d’après les données de l’INSPQ. Ce chiffre est ensuite redescendu à un niveau de 15%, notamment grâce au déconfinement et aux aides fédérales. Ceci suggère qu’une proportion non négligeable de ménages québécois est fortement vulnérable, très rapidement, à des événements inattendus qui entraînent une perte de revenus, et que ces ménages peuvent se retrouver propulsés dans l’insécurité alimentaire en l’espace de quelques semaines.



Dans la ville de Québec, des défis pour les organismes communautaires

Sur le terrain, les organismes communautaires ont rapidement fait le constat de l’émergence de nouveaux profils de demandeurs d’aide alimentaire, en plus d’une augmentation généralisée de la demande. Au Québec comme ailleurs, c’est principalement le milieu communautaire qui répond aux enjeux immédiats et locaux de l’insécurité alimentaire. C’est aussi ce milieu qui est le plus à même d’en comprendre les différentes formes sur un territoire donné. La situation de la pandémie a engendré un double défi pour les organismes communautaires. D’une part, ils ont dû composer avec une augmentation aiguë et durable du nombre de ménages ayant recours à l’aide alimentaire et avec l’émergence de nouveaux profils de demandeurs. D’autre part, les bouleversements profonds du contexte socioéconomique, avec des répercussions directes sur l’organisation du système alimentaire, ont confronté ces organisations à des contraintes sanitaires, des tensions logistiques et des enjeux de main-d’œuvre inédits.


Depuis quelques décennies, dans un contexte marqué par la privatisation des services publics et le recours croissant à la philanthropie, la réponse à l’insécurité alimentaire s’est cristallisée autour des banques alimentaires. Cette tendance est vue d’un œil critique de nombreux observateurs qui étudient l’insécurité alimentaire et les inégalités : en effet, ces systèmes reposent sur l’aide d’urgence sans toucher aux racines du problème. En particulier, cette forme d’aide ne permet pas de mobiliser l’aspect social de l’alimentation dans la promotion de la sécurité alimentaire. Plus encore, les banques alimentaires contribueraient à maintenir les insuffisances du filet social tel qu’il existe aujourd’hui, parce qu’elles apportent une réponse au jour le jour à l’une de leurs expressions les plus graves, masquant de ce fait la profondeur du problème. Les discours autour de la récupération d’aliments et de la lutte au gaspillage alimentaire peuvent également contribuer à entériner la place des banques alimentaires dans notre système alimentaire, là où elles devraient représenter un recours ultime.



Mieux comprendre les impacts concrets de la pandémie sur l'insécurité alimentaire Des chercheuses de l’Université Laval en nutrition, en économie et en sociologie ont voulu comprendre les répercussions de la pandémie et des mesures sanitaires sur l’insécurité alimentaire et sur la réponse qui lui a été apportée. En 2021, nous avons donc mené un projet de recherche afin de documenter la situation dans la ville de Québec. Nous avons rencontré une diversité d’actrices et d’acteurs (banques alimentaires, organismes responsables de la distribution alimentaire, centres et organismes communautaires et culturels, etc.) orbitant autour de l’insécurité alimentaire dans la ville de Québec. Pendant l’été 2021, nous avons mené des entretiens visant à collecter la vision de ces acteurs de cette situation inédite. Au total, vingt-deux organismes offrant des services alimentaires, trois tables de concertation et six organismes qui interagissent avec des personnes susceptibles de vivre des situations de précarité sans offrir de services en alimentation ont ainsi été interrogés. Les entrevues nous ont permis de dresser un portrait des principaux enjeux rencontrés et de dégager des perspectives et des pistes de solutions.



Les principaux enjeux ressortis lors des entrevues Notre enquête confirme l’augmentation soudaine de la demande en aide alimentaire dans le contexte de la COVID-19. La plupart des intervenants rencontrés confirment que la crise sanitaire a fait basculer certains segments de la population en situation d’insécurité alimentaire de manière temporaire ou prolongée. Nous avons noté que les solutions déployées en contexte de crise sanitaire se sont concentrées sur le réseau d’aide alimentaire d’urgence, au détriment des autres activités qui contribuaient à la vie des communautés et à la création de liens sociaux, tant en raison des mesures de confinement que par manque de ressources. Or, la pandémie a renforcé l’isolement et l’effritement des liens sociaux dont souffrent les personnes touchées par l’insécurité alimentaire. La littérature montre toutefois que la solution à l’insécurité alimentaire passe entre autres par la reconnaissance du rôle de l’alimentation dans la création et le maintien des relations sociales.


Nous avons noté que les solutions déployées en contexte de crise sanitaire se sont concentrées sur le réseau d’aide alimentaire d’urgence, au détriment des autres activités qui contribuaient à la vie des communautés et à la création de liens sociaux, tant en raison des mesures de confinement que par manque de ressources.


Des pistes de solutions... Dans le contexte de la pandémie, avec les mesures sanitaires et par manque de ressources, la créativité des organismes communautaires et la possibilité pour eux de se repenser en fonction du contexte particulier ont été profondément affectées, alors qu’elles étaient plus que jamais nécessaires. Plusieurs ont cherché à se tourner vers le numérique pour poursuivre leurs activités, mais la fracture numérique représente une barrière pour les personnes les plus vulnérables, qui sont souvent celles en situation d’insécurité alimentaire sévère. Elles n’ont souvent pas accès à la technologie, les connaissances ou l’espace pour participer en ligne. L’été a permis de déplacer certaines activités à l’extérieur et de retrouver un sentiment de communauté, mais cette bouffée d’air frais n’a été, par les particularités de notre climat, que temporaire. Une des innovations intéressantes a été l’instauration, dans plusieurs organismes, de services de livraison à domicile, permettant de dépasser certaines barrières (qui pré-existaient d’ailleurs à la pandémie), comme les enjeux d’accessibilité physique et ceux de la visibilité du recours à l’aide alimentaire. Ces organismes craignent toutefois ne pas pouvoir maintenir ce service, faute de moyens financiers adéquats.


La crise aura ainsi eu certains effets positifs, comme la mise en lumière de certaines problématiques déjà existantes et la créativité des organismes mis à l’épreuve, permettant au milieu communautaire de mieux agir. L’aide gouvernementale d’urgence et la reconnaissance provenant des élus envers le travail du réseau communautaire en sécurité alimentaire ont pu faire naître un vent d’espoir chez certains. Par contre, le doute reste palpable face à la durabilité de cette reconnaissance et la concrétisation des solutions à long terme pour créer un réseau résilient, qui dépasse les limites de l’aide alimentaire d’urgence pour garantir l’accès à une nourriture suffisante et saine pour toutes et tous, et une réponse qui ne circule pas uniquement à travers le modèle des banques alimentaires.


Liens vers la Synthèse de la recherche ICI.



Rédigé par :

Laurence Bastien, Centre Nutrition, santé et société (NUTRISS), INAF, Université Laval

Laure Saulais, Centre Nutrition, santé et société (NUTRISS), INAF, Université Laval

Laurence Godin, Centre NUTRISS, INAF, Université Laval

Véronique Provencher, Centre NUTRISS, INAF, Université Laval

Émilie Dionne, CIUSSS Capitale-Nationale


Référence :

1. INSPQ (2020). Mesures de mitigation des effets de la pandémie sur l’insécurité alimentaire. En ligne : https://www.inspq.qc.ca/sites/default/files/publications/3074-mitigation-insecurite-alimentaire-covid19.pdf



ANNEXES


Figure 1 – Démarche de recrutement et processus d'analyse




Figure 2 – Structure du guide d’entretien semi-dirigé



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